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Histoire

Suzanne Noël, pionnière de la chirurgie esthétique

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En ce jour de juin 1912, dans cette avenue large et silencieuse comme une allée de cimetière, une jeune femme hésite encore à sonner à la porte d’un bel immeuble cossu. C’est pourtant derrière cette porte que se cache celle qu’elle est venue rencontrer, la star de l’époque : la grande Sarah Bernhardt. Celle-ci revient des États-Unis avec un rajeunissement spectaculaire dont les journaux font leurs gorges chaudes.

Cette jeune femme se nomme Suzanne, Suzanne Noël. Elle veut devenir chirurgien. Mais pour le moment elle est surtout intriguée par ce qu’on raconte sur la grande comédienne, elle veut en savoir plus sur ce qu’a réalisé le Dr Charles Miller à Chicago. Et elle ose demander un entretien avec la fameuse actrice, qui, à sa propre surprise, lui accorde rapidement un rendez-vous. Suzanne a déjà réalisé de petites opérations esthétiques et s’est même essayée au lifting sur des patientes volontaires. Mais elle veut absolument voir l’opération de la star de plus près et comprendre la technique de Miller :
- Sarah Bernhardt me reçut d'une façon charmante et m'expliqua ce qui lui a été fait aux États-Unis. Miller lui avait prélevé une simple bande allant d'une oreille à l'autre dans le cuir chevelu... Si le résultat avait été assez efficace pour le haut de la face, en atténuant les rides du front et en effaçant les pattes-d'oie mais, il n'avait en rien modifié le bas du visage.

Suzanne, n’écoutant que sa passion, explique alors à Sarah Bernhardt l’intérêt qu’il aurait à réaliser un lifting de la partie inférieure du visage pour effacer les rides du cou et l’affaissement des joues. Le plus extraordinaire ce cet échange, c’est que Sarah accepte la proposition de la jeune femme à l’expérience encore modeste. L'intervention a lieu en 1912 sous anesthésie locale, à mains nues sans masque ou blouse stérile. C’est un succès. Et Sarah remonte rapidement sur scène attirant une fois de plus la foule de ses admirateurs. En réalité le docteur Noël n’en est pas à son coup d’essai. Elle avait tenté sa première expérience dès 1910, opération qui consistait à rendre un visage présentable à une jeune laborantine défigurée par une projection malheureuse d'acide sulfurique.

Pour le moment et sans coup férir, elle prend l’initiative d'écrire à Charles Miller pour l'informer de ce qu'elle appelle un miracle. Ce dernier lui répond aussitôt avec beaucoup de confraternité, à l’américaine, pour l'encourager à se perfectionner dans cette voie :
- Je décidais alors de me consacrer à cette chirurgie appelée à tort esthétique puisque pour ma part j'allais simplement essayer de combattre les erreurs de la nature ou les accidents de la vie et non seulement réparer les outrages du temps.

Pour le moment elle n’est encore qu’externe des hôpitaux et elle opère sous l’autorité de son mari. Mais Suzanne veut devenir chirurgien à part entière et il lui faut passer l’Internat des hôpitaux. Bien rares sont celles qui s’y sont risquées avant elle. Malgré ses obligations familiales, elle se lance dans la préparation du concours de Paris. Elle ne sait pas encore que dans quelques mois, elle sera reçue 4e sur 67 après avoir obtenu la meilleure note à l'écrit. Elle a 34 ans.


Une petite bourgeoise soumise à son mari

Mais revenons un instant en arrière, pour refaire le chemin qui a amené Suzanne Noël dans les bras de Sarah Bernhard. Suzanne nait en 1878 à Laon dans une famille bourgeoise. Mariée à 19 ans à un jeune médecin qui vient de terminer ses études à Paris, elle décide avec son accord (c’est indispensable à l’époque !), de se lancer elle-même dans les études de médecine. Mais il faut commencer par le commencement. Suzanne n’est pas complètement ignare tant s’en faut, mais elle doit d’abord obtenir le baccalauréat, lequel au début du XXe siècle n’est pas une simple formalité ! Elle devient bachelière à 25 ans, ce qui lui permet de s’inscrire en faculté des sciences pour suivre l’enseignement du PCN. En 1908, elle est nommée au concours d’externe des hôpitaux. Opiniâtre, courageuse, bravant tous les préjugés de son époque, Suzanne poursuit son chemin avec un succès arraché à force de savoir et de talent, tant ses maîtres masculins (et ses camarades) ne sont pas portés à lui faciliter la tâche.

Comme souvent en médecine, les rencontres décident des vocations. Pour son premier stage elle est affectée dans le service du grand Hippolyte Morestin, pionnier de la chirurgie maxillo-faciale, qui dès son arrivée opère sous ses yeux une enfant défigurée par une horrible cicatrice de brulure. Le résultat est parfait, la cause est entendue : Suzanne sera elle aussi chirurgien esthétique.

A partir de 1913, Suzanne pratique de petites interventions à visée esthétique et réparatrice sur des patients de l'hôpital Saint-Louis et développe dans son propre appartement une chirurgie ambulatoire sur des malades qu'elle opère sous anesthésie locale, en particulier les liftings du visage qu’elle réalise en plusieurs étapes par une succession de petites incisions grâce à des instruments qu'elle a elle-même dessinés. C’est le temps des premiers succès, des interventions gratifiantes et bien rémunérées, comme celle d’une consœur serbe :
- Une femme médecin serbe fut opérée par moi un soir à 6h en toilette de soirée puisqu'elle devait dîner à l'ambassade à 8h. Elle eut un succès éblouissant ; tous les invités qui la connaissaient attribuant sa plus parfaite beauté à l'admirable robe qu'elle portait. Le lendemain elle partait pour Vienne, d'où son mari médecin également, me télégraphia quelques jours plus tard : « fils enlevés par moi, résultat merveilleux, reconnaissance absolue.

Mais ce n’est pas l’exercice que souhaite Suzanne au fond d’elle-même. Le chirurgien doit avoir un rôle social. Elle va être servie ! Car la guerre va la plonger dans une course folle où sa discipline naissante se trouve au premier rang des secours à donner à ses enfants martyrs.

Les gueules cassées
En 1916, Suzanne rejoint Morestin au Val de Grâce. Des cris, des pleurs, des crânes fracassés, des yeux crevés, des mâchoires arrachées, des gorges béantes… Des milliers de jeunes hommes affluent aussi vite que fuient leurs familles épouvantées. On les appelle les baveux, les blessés de la trogne, puis les gueules cassées (l’expression s’imposera), cachant leur avenir massacré et leur désespoir sous des masques de fortune qui ne laissent à certains que l’espoir d’un suicide. Certains médecins baissent les bras devant cette nouvelle pathologie des tranchées et détournent le regard.
Pas tous. Assisté de Suzanne, dont il connaît la dextérité et la soif de s’identifier aux causes désespérées, Morestin recoud les plaies béantes, reconstruit les tissus, réinsère les muscles. Il inaugure ce qu’il appelle les « autoplasties par jeu de patience » où il faut retrouver tous les morceaux éparpillés d’os et de chair pour reconstituer le puzzle, effectue les premières greffes de peau et d’os. Ensemble, ils tentent de donner une nouvelle face humaine à ceux qui ne peuvent plus supporter leur propre miroir, les aident à respirer, à mastiquer, en bref à se supporter pour tenter de survivre… Suzanne, qui hante les galeries et les musées à ses quelques temps libres, n’a pas son pareil pour recréer un visage.
Mais, pour elle, la fin de la guerre ne sonne pas la fin des tourments. Enfant, elle a perdu son père, deux frères et une sœur. De gros soucis de santé ont ralenti ses études. En 1918, son premier mari meurt à son tour après avoir inhalé les gaz de combat. Remariée avec André Noël, l’amoureux et l’amant qu’elle a connu pendant ses études, elle s’installe avec lui rue Marbeuf. Il soigne les syphilis ; elle s’adonne à la petite chirurgie ambulatoire. L’horizon s’éclaircit mais, en 1922, c’est sa fille Jacqueline, si douée pour le violon, qui meurt à son tour de la grippe espagnole. André Noël ne s’en remet pas. Il sombre dans la dépression et finit par se jeter dans la Seine sous les yeux de sa femme, la laissant criblée de dettes. Suzanne réagit en menant un nouveau combat et fait alors des pieds et des mains pour que les ponts de Paris soient équipés de bouées de sauvetage… Et l’obtient !
La féministe
Il faut qu’elle se reconstruise elle-même après avoir réparé les autres. L’occasion vient des américains : les clubs Soroptimist (les sœurs pour le meilleur) cherchent une tête de pont en Europe pour soutenir le droit de vote des femmes. La cause des femmes est la sienne depuis toujours, elle l’assume et entreprend des voyages à travers le monde pour ouvrir de nouvelles antennes, tout en donnant des conférences sur sa pratique de la chirurgie esthétique. Et puis il lui faut bien passer enfin sa thèse, car elle exerçait sous l’autorité de son médecin de mari qui vient de mourir et elle n’a plus le droit d’exercer la médecine. Elle devient enfin docteur en médecine, elle a 48 ans.
Dans le milieu médical, on la considère toujours comme un peu folle. Elle n’en a cure. On vit d’ailleurs dans ces années folles de l’après-guerre et Suzanne porte un chapeau cloche enrubanné où l’on peut lire : « Je veux voter ». Elle s’installe dans un confortable appartement près du Champ-de-Mars où elle opère à tour de bras non seulement les visages mais aussi le corps des femmes qui se libèrent du corset. Elle remodèle les seins qui tombent, retend les ventres abîmés par les grossesses, invente une aspiration des graisses abdominales (ancêtre de la liposuccion) et regalbe les fesses.
Elle touche à tout, sauf au nez :
- Le nez c’est la signature de la personnalité, il ne faut pas y toucher ! clame-t-elle.
Suzanne est convaincue que la chirurgie peut aider à l’émancipation des femmes. Ses clientes ? Les artistes, les directrices de maison de mode, les journalistes, les avocates, toutes ces femmes de pouvoir qui doivent obéir aux nouveaux impératifs d’une silhouette qui s’affine et de la jeunesse permanente qui s’impose… Elle fait payer les riches pour traiter gratuitement celles qui sont obligées de travailler, les vendeuses, secrétaires, licenciées parce que trop vieilles ou trop laides. Elle conseille à ses patientes de ne pas parler des interventions à leur mari et s’inquiète déjà de celles qui recherchent la perfection physique de façon névrotique.
Ainsi était Suzanne Noël la grande pionnière de la chirurgie esthétique, celle qui luttait pour le bonheur des femmes mais qui s’était aussi battue pour rendre un visage aux hommes dont la gueule avait été fracassée par la guerre.
Est-ce un clin d’œil de l’histoire, elle rend elle-même les armes le 11 novembre 1954, le jour où toute la France se recueille sur les souvenirs de la grande guerre

 
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